Les taux d’intérêt mondiaux passent décidément un été inhabituellement mouvementé.
Après la BCE, la Federal Reserve Bank américaine a baissé ses taux directeurs pour la première fois depuis la crise de 2008, suivie depuis par les banques centrales indienne, thaïlandaise et néo-zélandaise.
La signification que les économistes donnent à ce mouvement est classiquement que leur anticipation est au ralentissement, et du coup, qu’en réduisant le coût du crédit, les banques centrales stimulent naturellement l’endettement des agents économiques, et donc leurs investissements, et donc la prise de risques.
Justement, cette fois-ci, mon avis est qu’en raison du contexte, d’une part cette baisse ne sert à rien pour les agents économiques du secteur privé – premier risque – et d’autre part elle génère le risque contraire, à savoir que ce soient les Etats qui s’exposent à la certitude, littéralement, de voir leur dette exploser lorsque les taux remonteront – second risque.
Premier risque : trop d’incertitudes politiques pour favoriser les investissements des entreprises
Le Brexit, la guerre commerciale et monétaire Chine-USA, ce qui se passe à Hong-Kong, l’Iran toujours… Ce sont autant d’incertitudes politiques qui ralentissent le déploiement de capitaux par les décideurs américains aujourd’hui mais qui n’auront plus lieu d’être en octobre : on en saura plus alors sur la réalité des injonctions de Boris Johnson quant à la sortie anglaise à tout prix de l’UE, et les Etats-Unis et la Chine auront repris le cours de leurs négociations en septembre avec des dispositions forcément plus amicales qu’auparavant en ayant fait le constat que leurs entreprises respectives ont besoin de visibilité sur la stabilité politique du monde et de confiance en l’avenir pour investir sur le temps long dans leur appareil productif.
Donc taux plus bas ou pas, tout au mieux la baisse des taux récente de la Fed favorise-t-elle une renégociation des conditions de crédit des entreprises états-uniennes avec leurs banques, mais sans doute pas l’allocation de nouvelles lignes de crédit et donc de production.
Et derrière, ce sont autant de machines allemandes, italiennes ou japonaises pas achetées par les usines américaines, autant de commandes de composants taïwanais ou chinois pas passées, autant de matières premières africaines ou sud-américaines non importées, et autant de sociétés de services indiennes ou françaises qui ne sont finalement pas mandatées.
Second risque : un dérapage potentiel des dépenses publiques
Un coût de l’argent attractif entraîne une propension plus grandes des Etats à l’endettement : cet effet pervers agit, parmi les leaders des Etats dont les niveaux d’endettement vont déjà au-delà du raisonnable, comme un véritable révélateur de mauvais gestionnaires.
Prenons quelques exemples :
– La dette italienne représente 135% de son PIB alors qu’une des règles de l’Union Européenne est que la dette ne doit pas dépasser 60% du PIB d’un membre. L’UE ne sanctionne toujours pas, alors que, manifestement, les gouvernements italiens successifs n’ont pas fait ce qu’il fallait pour résorber le déficit public – au contraire de l’Irlande, du Portugal, de l’Espagne, et dans une moindre mesure, de la Grèce, où la gestion fut beaucoup plus rigoureuse et efficace.
– La France compte quant à elle autant de dette que de PIB, mais les taux s’abaissant, la charge de la dette diminue, laissant apparaître au budget des chiffres flatteurs alors que la baisse du service de la dette par rapport à ce qui était projeté crée un effet d’aubaine qui masque la réalité de l’augmentation des dépenses publiques. Soit un bien triste témoignage de notre incapacité à nous réformer. Dit autrement, de notre manque de courage politique au-delà des grands discours.
Mais que se passera-t-il lorsque les taux remonteront ? Et bien non seulement il sera trop tard pour réformer, car il faudra rembourser, donc collecter, donc prélever. Et surtout il faudra rembourser beaucoup plus, donc collecter plus, donc prélever plus. L’économie mondiale sera alors sujette à récession sachant qu’aujourd’hui on ne peut à ce stade parler que de ralentissement (ex. Etats-Unis), ou de correction (ex. l’Allemagne) suivant l’endroit où l’on se trouve.
C’est d’ailleurs le sens de l’inversion de la courbe des rendements obligataires des titres US à deux ans et à dix ans d’hier, un phénomène qui n’était pas arrivé depuis 2007. Cette inversion des courbes anticipe non pas une crise économique demain matin, mais la certitude, dans les dix-huit à vingt-quatre mois, pour les gouvernements aux politiques budgétaires les moins responsables, de sanctions financières non pas par la Commission Européenne, mais bien par la main invisible du marché qui forcera la remontée des taux – par exemple pour endiguer une inflexion de l’inflation. Les conséquences de ces sanctions seront sociales, donc se traduiront malheureusement dans l’économie réelle par une perte de pouvoir d’achat des ménages des pays les plus endettés. Comme quoi, en prenant la contraposée, une politique budgétaire saine est un bouclier efficace contre le ralentissement de la consommation des ménages.