Je me sens un peu obligé d’y aller de mon point de vue sur ce que l’on pourrait appeler ‘l’affaire WeWork’ car, dans mon quotidien chez Welcomr, la startup passionnante que j’ai rejointe en mars pour créer de nouvelles expériences d’accès aux lieux, je suis amené à rencontrer un très grand nombre de professionnels de l’exploitation immobilière. Il s’agit par exemple de gestionnaires de lieux de travail flexibles, ou flex office, en colère de voir leur image éclaboussée par le scandale, d’investisseurs institutionnels dans les bureaux inquiets pour la valeur vénale des actifs qu’ils ont en portefeuille, ou encore de directeurs immobiliers de grands groupes soucieux de ne pas voir leurs directions générales ralentir les projets internes consacrés au flex office.
Je dois notamment partager trois conclusions selon moi difficilement contestables :
primo, c’est avant tout une crise de gouvernance qui a touché WeWork ;
deuzio, par voie de conséquence, les fondamentaux du modèle du flex office ne sont pas impactés ;
tertio, la chute éventuelle de WeWork aurait des conséquences marquées sur le marché de l’immobilier de bureaux aux Etats-Unis, mais un impact relativement indolore en Europe.
C’est une crise de gouvernance qui a touché WeWork
Il y a encore quelques semaines, alors que WeWork lançait le road show qui devait la conduire à s’introduire en Bourse en même temps qu’elle aurait opéré une augmentation de capital conséquente, ses actionnaires espéraient valoriser l’entreprise à 104 milliards de dollars. Aujourd’hui, WeWork a émis des actions à une valeur de 8 milliards de dollars auprès de son actionnaire historique, le conglomérat SoftBank et son bras armé dans l’investissement dans la technologie VisionFund. Soit une division par treize de la valorisation, engendrée par une confrontation de WeWork avec les marchés.
Indéniablement, cet épisode est une victoire pour les marchés financiers, à l’heure où l’utilité de ces derniers est régulièrement remise en question par les gouvernements populistes. La « main invisible », selon l’expression d’Adam Smith, a fait son oeuvre : les nombreux observateurs invités à émettre un avis sur le dossier enregistré auprès de la SEC – qu’ils soient journalistes, avocats, banquiers, auditeurs, investisseurs, concurrents, fournisseurs, clients – ont relevé de graves dysfonctionnements dans la gouvernance de l’entreprise, qui ont conduit à un retrait du projet d’IPO et au départ de son fondateur Adam Neumann.
Parmi ces dysfonctionnements, des désalignements d’intérêt évidents, comme à New York ces baux signés bien au-delà des valeurs de marché sur des actifs possédés par le fondateur, ou encore carrément de la cuisine comptable, avec à Londres des ventes intra-groupe afin de faire apparaître des plus-values immobilières dans les comptes. Le dégonflement de la valorisation de WeWork est principalement lié à une crise de gouvernance, dont la conséquence était la décorrélation de sa valeur avec ses comparables.
Les fondamentaux du modèle ne sont pas impactés
Les modes de travail ont changé. Il est normal que les lieux de travail changent aussi. Contrairement à la perception du grand public, les grands clients des acteurs du flex office ne sont pas, en budget, les free-lance, mais des grands groupes à la recherche de plateaux de plusieurs centaines de postes de travail clé-en-main. Ces plateaux doivent permettre d’attirer et de retenir les talents, et surtout on en a besoin tout de suite et maintenant, donc il n’y a pas le temps de faire appel à des aménageurs. C’est précisément sur cette anticipation de l’appréciation de la demande que les entrepreneurs de l’industrie du flex office ont fondé leur expertise. Ces derniers préemptent des lieux où ils ont la conviction qu’il y aura une demande soudaine pour un produit dont ils auront préalablement deviné les contours. L’incapacité d’autres acteurs à offrir à un instant t une réponse qualitative à un tel besoin leur donnera la possibilité d’exiger une double prime de flexibilité et de disponibilité immédiate. Les autres clients des opérateurs de flex office, ce sont les startups qui grandissent si vite qu’elles doivent adapter leurs espaces de travail d’une année à l’autre et qui du coup ne trouvent pas facilement de réponse adéquate à leurs besoins dans l’offre de baux traditionnels.
Tels sont les fondamentaux qui sous-tendent l’apparition de l’industrie de l’immobilier flexible. Les fondations du flex office sont le fruit de mutations sociales profondes que sont l’apparition du cloud computing, le télétravail, le mode projet, l’augmentation générale du coût de l’immobilier qui rend absurde l’idée d’utiliser une grande salle de réunion et non une bulle téléphonique pour passer son coup de fil, et surtout la guerre mondiale des talents qui a fait de la qualité des bureaux un argument massue de compétitivité. Les problèmes de WeWork ne les remettent aucunement en question, au contraire : si cette industrie n’était pas autant scrutée par les dirigeants soucieux de l’attractivité de leurs lieux de travail, alors la caisse de résonance du scandale n’aurait sans doute pas été aussi profonde.
Vous aurez remarqué que je distingue le coworking, qui repose sur la notion de proximité et de convivialité dans des lieux qui ont pignon sur rue, du flex office qui s’intéresse aux plateaux ou aux immeubles de bureau. Le premier s’analyse au travers du prisme des équations du commerce, voire du CHR (cafés, hôtels, restaurants) et leur succès est souvent corrélé aux flux de passage devant la devanture, ou à un positionnement communautaire (ex. sectoriel) bien articulé. Le second, quelque part réinventé par WeWork et dont l’ancêtre est le centre d’affaires, doit son succès à sa capacité à répondre aux exigences des startups de croissance et aux grands corporate en matière de qualité de service et de plug and play (débit télécom, confort, sécurité,…).
La chute de WeWork n’aurait pas d’impact en Europe
WeWork a capté la moitié de l’offre de bureaux à New-York en septembre 2019. Sur l’ensemble de l’année 2019, WeWork représente environ 30% des prises à bail d’immeubles de bureaux ! Ces chiffres sont massifs et pourraient laisser penser à la possibilité d’une crise de l’immobilier de bureau sans précédent en cas de faillite de WeWork. Sauf que les lieux bénéficient souvent d’un taux de remplissage très élevé, d’un aménagement haut de gamme, et que leurs murs sont souvent la propriété d’institutionnels du bureau capables de reprendre en main l’exploitation, ou bien d’en confier la gestion à des exploitants qualifiés. A mes yeux, la liquidité des actifs WeWork est donc certaine. En Europe, où le déploiement d’unités est est beaucoup plus mesuré, les paramètres – remplissage, qualité, liquidité – sont les mêmes. Il n’y a donc selon moi aucune inquiétude à avoir de ce côté-là.