L’Inde s’affirme comme une puissance d’équilibre dans le nouvel ordre mondial

Il est une lapalissade d’écrire qu’une table ne tient debout qu’à compter de son troisième pied. Or, à l’heure actuelle, l’échiquier mondial est dominé par une bipolarité affirmée entre les États-Unis et la Chine. Ces deux puissances exercent une influence décisive sur les échanges internationaux et définissent les règles de l’ordre global.

Dans le même temps, l’Union européenne connaît un recul relatif face aux avancées fulgurantes de ses rivaux, avec un écart de près de 35% en PIB par rapport aux États-Unis (PIB qui étaient équivalents en 2008), creusé notamment par son retard dans les secteurs stratégiques du numérique (les trains manqués de l’Internet et du cloud) et de la mobilité électrique – par exemple. La Russie, malgré son poids militaire et énergétique, exerce une influence limitée hors de ces domaines. Le Japon, englué depuis des décennies dans une déflation rampante et confronté à un pouvoir d’achat affaibli, peine à retrouver une croissance durable. La Corée du Sud, quant à elle, joue un rôle clé dans la chaîne technologique mondiale, mais fait face à des défis géopolitiques et économiques régionaux complexes. Le Brésil est empêtré dans des difficultés sociales et institutionnelles persistantes. L’Afrique, malgré des réussites exceptionnelles comme au Nigeria, au Kenya ou en Côte d’Ivoire, demeure à ce jour concentrée sur le développement de classes moyennes et le service des besoins de son vaste marché intérieur.

Au cœur de ce panorama se distingue l’Asie du Sud, et particulièrement l’Inde, dont l’affirmation démographique, économique et politique ne peut plus être ignorée. Cette région devient, plus que jamais, un pivot essentiel dans la réorganisation du pouvoir mondial – comme un troisième pied, cette puissance d’équilibre dans le grand match Chine – Etats-Unis. Voici pourquoi.


*** L’Inde, puissance économique en pleine mutation ***

L’Inde, forte de ses 1,4 milliard d’habitants, a dépassé la Chine pour s’imposer comme la nation la plus peuplée de la planète. Son économie, dynamique et résiliente, continue de croître à un rythme soutenu, autour de 6,3% par an selon les projections récentes. Cette performance lui permet de figurer désormais devant le Japon, au quatrième rang mondial en matière de PIB, avec une valeur approchant les 4 200 milliards de dollars. Plus que des chiffres, cette progression témoigne d’une métamorphose profonde. En parallèle, l’Inde renforce ses capacités stratégiques, notamment dans la défense, où elle s’appuie sur des partenariats internationaux solides, comme celui avec la France, attestant de ses ambitions géopolitiques affirmées.


*** L’Asie du Sud, théâtre d’influences et de rivalités entre « grands » ***

L’Asie du Sud est le champ d’une rivalité subtile mais intense entre la Chine et l’Inde, chacune cherchant à étendre son influence. Emmanuel Lincot, sinologue reconnu, souligne que « la rivalité entre les deux colosses que sont l’Inde et la Chine sera “le match du siècle” », ajoutant que leurs contentieux « s’ancrent dans des racines historiques profondes » notamment autour des frontières himalayennes, où la guerre de 1962 reste un souvenir vif.


Le Népal incarne cette complexité géopolitique en étant pris entre la Chine et l’Inde. Ce pays, qui partage ses frontières avec ces deux géants, subit des influences concurrentes. Chine et Inde y investissent largement, et le Népal doit ménager les deux parties pour préserver sa souveraineté et son économie. Cette position tampon est l’avatar d’un équilibre fragile mais nécessaire – adoubé par les Etats-Unis dont la légende dit que l’Ambassade est truffée de capteurs regardant vers la Chine depuis Katmandou.


Le Sri Lanka joue un rôle similaire, ses gouvernements, quelque soit leur bord politique, s’assurent de maintenir un équilibre entre les intérêts chinois, considérables dans les infrastructures, et ses relations permanentes avec l’Inde.


Le Pakistan, pour sa part, est engagé dans une rivalité historique avec l’Inde, qui trouve sa racine dans la partition de 1947, suivie par plusieurs guerres et conflits territoriaux, notamment sur la région du Cachemire. Ce différend, qui alimente une méfiance persistante, a conduit le Pakistan à s’allier étroitement à la Chine : la Chine représente plus de 80% des investissements pakistanais de défense. Malgré cette tension quasi-permanente, des solutions sont envisagées, telles que le dialogue bilatéral renforcé, les cessez-le-feu dans les zones frontalières, et la coopération dans des organisations multilatérales. Toutefois, le chemin vers une paix durable avec l’Inde reste à détourer.


Le Bangladesh, malgré ses liens économiques forts avec l’Inde, suit une diplomatie indépendante, souvent attentive à ses propres équilibres, et soumise à des influences tant chinoises qu’états-uniennes.


*** L’Inde, puissance d’équilibre et de leadership ***

Loin de se contenter d’un simple rôle de médiateur régional, l’Inde aspire au leadership dans le nouvel ordre mondial. L’Inde conjugue une croissance économique soutenue, l’innovation technologique, un activisme diplomatique affirmé, et des ambitions de bâtir son propre complexe militaro-industriel à des fins mêlant dissuasion et recherche de prestige. Pour cela, elle doit convaincre ses voisins qu’elle agit sans ambitions expansionnistes militaires, ni volonté d’asservir économiquement ou politiquement la région. Cette posture de respect des souverainetés est essentielle, notamment vis-à-vis du Sri Lanka, du Népal et du Bangladesh.

Le même Emmanuel Lincot souligne que la montée en puissance de l’Inde en Asie du Sud accroît les risques d’un « piège de Thucydide asiatique », une référence à la théorie selon laquelle la montée d’une nouvelle puissance menace forcément l’ordre établi. Si ce risque existe sans doute, je ne suis pas d’accord avec cette théorie, car l’expérience de la dernière décennie a montré que la coopération économique favorise la stabilité. En effet, dans la mesure où l’Asie du Sud est un marché important sur lequel les industriels états-uniens et chinois se rencontrent, tous les protagonistes ont intérêt à maintenir leur terrain de jeu praticable. Les efforts considérables que déploient les deux « grands », mais aussi l’Union Européenne dans le cadre de sa stratégie indo-pacifique, dans la zone en matière de dialogue diplomatique témoignent de l’importance de la stabilité du sous-continent sud-asiatique pour la fluidité des échanges internationaux.


*** L’ influence de l’Inde est en pleine ascension ***

Malgré un environnement mondial complexe, l’Inde maintient une croissance robuste, estimée entre 6 et 7%. Ses réformes structurelles stimulent consommation et investissements, préfigurant son avenir certain de troisième puissance économique mondiale d’ici à 2028, juste derrière les États-Unis et la Chine, et devant l’Allemagne.

Au-delà de son poids majeur et de sa croissance fulgurante, l’Inde impose sa présence politique, devenant un pilier dont l’influence ne cesse de croître, au centre d’un sous-continent en pleine recomposition. L’Inde constitue donc le troisième pied à la table des États-Unis et de la Chine, qui, pour le coup, n’est plus bancale !

Peut-on encore, en France, éviter une récession ?

A Antibes. Une photo de Reuben Mcfeeters, de Belfast.

La réponse est non. Conséquence d’une conjonction de facteurs dont la Guerre en Ukraine, nous ne pouvons plus éviter la récession en France. En voici les raisons.

Notre économie productive est trop dépendante de tout : à chaque tonne de matière première – plastique, gaz, pétrole, aluminium, cobalt, nickel, café… – que nous faisons venir de l’extérieur sauf le lait et le blé, à chaque composant électronique qui rentre sur le territoire pour y être assemblé lorsque ce n’est pas un produit électronique fini qui arrive, à chaque logiciel anglais, belge ou américain acheté par nos entreprises, à chaque machine japonaise, tchèque ou allemande commandée, l’argent sort de l’hexagone par milliards chaque jour pour n’y rentrer à nouveau épisodiquement, lors de l’achat de produits de luxe ou de séjours hôteliers pour congrès ou vacances.

Si notre déficit commercial n’est pas nouveau, son accélération ne l’est pas non plus. Les remèdes (nos startups devenues scale-ups qui à leur tour s’internationalisent et séduisent une clientèle internationale, la stratégie de réindustrialisation initiée avec la crise du COVID, les programmes de réinvestissement de nos ETI et grandes entreprises fortes des CAPEX non déployés issus des réserves constituées pendant la pandémie et les difficultés à recruter des talents, l’éducation et la formation,…) existent et sont clairement identifiés.

Mais la récession, c’est autre chose. L’arrivée d’une période de récession économique est propulsée par le retour de l’inflation, conséquence directe de deux crises :
– les séquelles du COVID en matière de facture des importations (multiplication par 6 des coûts du transport maritime, pénurie de composants électroniques à l’échelle mondiale avec le facteur aggravant que les grands constructeurs automobiles et informatiques préemptent la moindre nouvelle production de composants) ;
– la guerre en Ukraine dont nous allons parler.

La réalité de la fuite des devises de l’hexagone est exacerbée par la guerre en Ukraine. La guerre en Ukraine nous rappelle notre dépendance – contenue grâce au nucléaire – aux industries d’extraction russes, comme l’arrêt du transport maritime nous eut montré que nos propres usines d’assemblage se mettent à l’arrêt lorsque les usines de fabrication chinoises sont dans l’incapacité de nous livrer.

Le plus grave, c’est que d’autres autocraties comme la Chine et l’Iran observent avec intérêt les difficultés qu’ont les Occidentaux à sanctionner la Russie d’un embargo.
Par exemple, l’Allemagne, pour des raisons de dépendance économique, ne peut s’interdire de commander du gaz russe. Quant au pouvoir hongrois favorable à Poutine, il pèse pour bloquer les décisions de l’Union Européenne et pour ralentir les livraisons d’armes à l’Ukraine.
Quelque part, la Chine a forcément déjà fait le calcul qu’une invasion de Taiwan ne rencontrerait en guise de seules représailles que des discours offusqués de la part des chefs d’Etat occidentaux dont les économies sont de toutes manières dépendantes et dont les conséquences sociales d’un boycott des importations chinoises fragiliserait trop le pouvoir en place pour être envisagé.
Ces facteurs d’incertitudes engendrent l’apparition de nouveaux risques géopolitiques, et ces risques, les entreprises les provisionnent forcément, au moins partiellement, dans leurs comptes en anticipation de leur éventuelle réalisation. Cette création de provisions ralentira le déploiement de capitaux (et donc la modernisation de l’outil de production, et donc la création d’emplois, et donc l’innovation) et diffèrera la création de valeur dans nos économies.

Voilà pourquoi, selon moi, nous ne pouvons plus éviter une entrée en récession. Si Macron est élu demain, celle-ci ne durera qu’une seule année voire deux – Emmanuel Macron ayant déjà su définir et affirmer une stratégie industrielle et numérique pour la France. En 2021, témoin de son attractivité, plus de 1.600 projets d’investissement étrangers ont choisi la France, dont 297 projets allemands qui font de l’Allemagne notre premier « client ».

Les investissements allemands s’arrêteraient net si Le Pen était élue.
Si Marine Le Pen était élue, la récession durerait au moins une décennie (soit les durées conjuguées de son mandat et du suivant) : la défiance des institutions européennes vis-à-vis de notre pays serait telle que nous ne pourrions plus nous appuyer sur le collectif européen pour aller défendre des positions communes et aller chercher des décisions favorables à nos territoires (comme par exemple la réforme du taux minimum d’imposition de 15% sur les multinationales, dite « taxe GAFA »).
Notre isolement politique fragiliserait notre économie en tant que destination touristique, l’image de nos marques de luxe et de nos vins, nos entreprises dans leur quête de conquête commerciale à l’export et d’attraction des talents, et frapperait donc très sévèrement la pérennité de nos emplois.

C’est pourquoi, demain, dans notre intérêt à tous, je vous invite à aller voter pour Emmanuel Macron.

L’urbanisation de la Chine: un enjeu… planétaire

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Shanghai, une vue du Bund – septembre 2013

Parmi les « méga-tendances » mondiales que sont l’efficacité ressources (lutte contre la dépendance énergétique, le changement climatique,…), l’alimentation et la santé, ou encore la globalisation, je pense que l’urbanisation de la Chine a toute sa place. Ayant passé un pourcentage à deux chiffres de mon temps en Chine cette dernière année, j’ai pu observer dans mes discussions à quel point la thématique de l’urbanisation suscite une écoute particulière.

Pour vous en convaincre, voici les ordres de grandeur que l’on entend communément sur l’urbanisation chinoise: en 1950, 13% de la population chinoise vivait en ville. En 2014, ce chiffre a bondi pour atteindre 55%. A cette allure, 1 milliard de Chinois vivront en ville en 2020. La Chine comptera alors plus de 220 villes de plus de 1 million d’habitants (contre 1 en France et 25 en Europe aujourd’hui…).

Ce mouvement massif d’urbanisation revêt des enjeux environnementaux, économiques, sociaux et politiques qui me semblent stratégiques pour le monde chinois mais pas seulement.
Des enjeux environnementaux car même si c’est moins pire qu’avant, les nappes phréatiques chinoises sont en majorité polluées, or il faudra approvisionner en eau potable ces zones urbaines, mais aussi sécuriser la filière alimentaire. La Chine fait déjà face à Beijing Tianjin ou Wuhan par exemple à des risques critiques de pénuries d’eau, de surcroît. D’autre part les néo-urbains seront autant de nouveaux consommateurs à l’heure où l’économie circulaire n’est pas la norme.
Des enjeux économiques car les marques – d’où qu’elles viennent – qui tireront profit au sens propre du terme des nouvelles attentes des habitants de ces nouveaux quartiers, qui sauront accompagner les nouveaux usages numériques ou non développés par la jeunesse chinoise, deviendront les leaders mondiaux de demain.
Des enjeux sociaux car il faudra bien les loger, ces masses urbaines, mais aussi faciliter leur mobilité, leur éducation,….
Des enjeux politiques enfin car la stabilité chinoise repose sur une équation délicate du point de vue du développement durable mêlant croissance économique, enrichissement, et amélioration de la qualité de vie (mesurée par la qualité de l’air, la santé,…).

On le mesure difficilement aujourd’hui, mais je suis persuadé que l’on touche à un enjeu majeur de la prochaine décennie, enjeu qui dépasse la République Populaire de Chine pour mobiliser partout dans le monde des énergies ayant vocation à rencontrer des partenaires chinois. Nous sommes à une époque charnière, en pleine transition, pleine de contradictions et d’opportunités – donc passionnante.